du 11 au 24 mai 1992
 
Université Pierre Mendès France Grenoble 21 mai 1992, salle Doyen Jean Maillet, Université Pierre Mendès France, 151 rue des universités domaine universitaire St Martin d'Hères
L'histoire de la France des années quarante est présente dans nos mémoires 
   d'une  manière tronquée et fallacieuse. Même les manuels d'histoire 
   ne transmettent qu'une version officielle et somme toute confortable 
   selon laquelle c'est l'occupant qui porte toutes les responsabilités.
 
   L'occultation apparaît par exemple pour les victimes de la milice française 
   comme Jean Zay, Victor Basch, Georges Mandel. 
   Sur un monument élevé à la mémoire de ce dernier 
   en 1946, on peut lire : "En ce lieu, Georges Mandel est mort assassiné 
   par les ennemis de la France". 
   Les travaux récents des historiens remettent en question ce modèle simplificateur. 
   C'est le principal enseignement de la quinzaine : 
(Grenoble, 11-24 mai 1992)
organisée à Grenoble à l'initiative du Cercle Bernard Lazare-Grenoble (1), et dont l'impact a été amplifié par le non-lieu consenti peu auparavant à Paul Touvier. Avoir une vision claire et plus objective de l'histoire, avoir une mémoire vivante, grâce aux historiens, et aussi aux témoins, aux artistes, nous permet d'être mieux armés pour affronter la période troublée d'aujourd'hui.
* * *
   Les historiens en effet, (et en premier lieu des américains, tels Marrus 
  et Paxton), nous permettent de mesurer l'importance des décisions purement 
  françaises prises dans le processus d'exclusion, voire d'extermination. 
  C'est ainsi que plus de 160 lois et décrets parmi les 184 qui ont été 
  édictés par le gouvernement de Vichy l'ont été à 
  sa seule initiative, et non pas pour satisfaire aux exigences de l'occupant. 
  
  C'est le gouvernement français qui le premier a substitué la notion 
  de race juive à celle de religion juive
  longtemps utilisée par les allemands dans leur politique d'exclusion.
 
  
  Loin d'essayer de sauver les enfants des juifs qu'elles avaient livrés 
  aux Allemands, les autorités françaises proposèrent leur 
  déportation. Vichy suggéra que les enfants partent avec les adultes 
  avant même que les nazis ne soient prêts à les accepter.
* * * 
  Une histoire vivante qui se re-formule et s'affine montre que la période 
  de Vichy a été également l'occasion de règlements de comptes franco-français. 
  
  Il restait à rendre la France aux Français, à 
  savoir reprendre avec vigueur la chasse aux communistes - moscoutaires et apatrides 
  -, s'attaquer aussi aux pires des métèques, les juifs. C'était 
  l'occasion de se venger des Dreyfus, des Blum, des Mandel, tout en se posant 
  sans peine en parangons de vertu publique, et en trouvant des boucs émissaires 
  commodes pour un bon peuple sevré de succès nationalistes. 
  (2) 
L'affaire du Massilia est aussi significative à cet égard. Les 
  partisans de la simple capitulation militaire, qui excluait l'idée de 
  collaboration, furent dans un premier temps mis à l'écart grâce 
  au stratagème du paquebot Massilia, puis accusés de défaitisme 
  et de trahison. 
  Ce sont toutes les valeurs républicaines de la IIIe République, 
  enracinées dans les principes de 1789 que les maréchalistes cherchaient 
  ainsi à détruire. Sachons aussi que Vichy n'a pas bâti sa politique xénophobe et 
  antisémite sur un terrain vierge. 
"Le programme antijuif de Vichy n'était pas nouveau ; il n'était pas non plus limité à une petite minorité d'extrême droite. Il s'alimentait à l'obsession, exprimée tout au long de la décennie, de la menace étrangère. Même les modérés avaient appris, pendant les années trente, à penser aux réfugiés étrangers - et parmi eux d'abord aux Juifs - comme à une menace pour l'emploi, pour la pureté de la culture française et pour la paix". (3) L'histoire ne se répète pas, mais...
* * * 
  Les journées La France de Vichy ou Vichy à l'heure allemande 
  ont été l'occasion de rencontres entre d'une part une génération 
  qui cherche à écrire l'histoire, et d'autre part des témoins 
  : acteurs, victimes, résistants. Les personnes qui ont vécu cette 
  période avaient un besoin impérieux de raconter, comme si, jusqu'à 
  présent, leur témoignage n'avait pu être entendu. 
  Catholiques, protestants, ou juifs cherchaient à dire ce que pendant 
  si longtemps ils n'avaient pu dire, ce qui était resté inaudible, 
  et même parfois ce qui était refoulé. Pour nous, resteront 
  significatifs les témoignages de ceux qui racontaient, par exemple - 
  que sur leurs images pieuses de communiants, le Saint-Esprit avait le visage 
  du Maréchal.
Le témoignage d'Annette Muller, 10 ans lorsqu'elle fut 
  arrêtée, parquée au vel d'hiv puis à Beaune-la-Rolande, 
  est exemplaire par sa force d'évocation de la vie dans un camp où 
  il n'y avait que des enfants.
  Important également le témoignage de patriotes juifs, qui avaient 
  identifié, même après la guerre, leur combat pour la patrie 
  républicaine à celui de leurs camarades non juifs, et qui, plus 
  tard, ont refusé le mythe de la "résignation juive" 
  et revendiqué leur identité de juifs dans le combat.
  Par ailleurs la résistance elle-même, dans des mouvements comme 
  les FTP-MOI, a eu du mal à intégrer la contribution apportée 
  par les étrangers et les apatrides. Des plaques commémoratives 
  érigées par les résistants à la mémoire de 
  leurs camarades tombés au combat occultent leur véritable identité 
  en n'utilisant que leur pseudonyme de combattant. 
"Le colonel Gilles, ou Joseph Epstein, fut enterré au cimetière parisien d'Ivry sous le nom de Joseph André qu'il avait adopté en 1936, quand commençait pour lui la guerre contre le fascisme et le nazisme en Espagne. Récemment, sa femme a réalisé qu'il était important pour l'histoire que sur sa tombe soit inscrit son vrai nom de famille comme preuve indéniable de la participation juive à la résistance en France" (4)
* * * 
  Les historiens et les témoins n'étaient pas seuls chargés, 
  lors de la quinzaine La France de Vichy ou Vichy à l'heure allemande, 
  d'éclairer le passé sous un nouveau jour. C'est à travers 
  la création artistique que l'on parvient à dire l'indicible. La 
  parole a été donnée au cinéma, à la video, au théâtre. 
  Le film d'Axel Corti Dieu ne croit plus en nous, premier volet 
  de la trilogie Vienne pour mé-moire montre que la xénophobie 
  d'Etat se mettait en place dès 1938, et que la France allait devenir 
  une souricière pour beaucoup de ceux qui avaient cru en son hospitalité.
Le téléfilm Stirn et Stern évoque avec un certain humour les diverses attitudes populaires devant les lois d'exclusion.
Le reportage télévisuel Cité de la Muette, grâce aux témoignages croisés de rescapés nous présente la vie quotidienne dans un camp français près de Paris. Drancy, camp d'internement et lieu de triage pour le départ vers les camps de la mort, se trouve banalisée aujourd'hui sous la forme d'une cité HLM dont les habitants ignorent le passé. Encore une page d'histoire occultée.
La minute de silence, de Claude Henri Buffard, mise en scène par Moïse Touré, nous fait partager l'angoisse d'un être malmené par la persécution devant la crainte d'un recommencement.
Quelle description digne et poignante de la vie quotidienne à Fresne et à Drancy, jusqu'à la déportation, que la lecture théâtrale, par Juliette Batlle, des Lettres de Louise Jacobson, recueil de lettres authentiques d'une jeune fille de 19 ans à ses proches.
L'investissement des gens de théâtre dans ces deux spectacles, le talent et la conviction avec lesquels ils se sont adressés au public méritent d'être salués. Les artistes qui cherchent à parler de cette époque rencontrent d'immenses difficultés, car ils se heurtent, eux aussi, à la volonté d'occultation du passé. Il leur est difficile de trouver les financements, et lorsque ce problème est résolu, ils ne peuvent pas diffuser, soit par interdiction de salle de cinéma ou d'antenne (par ex. Le chagrin et la pitié), soit par ignorance et désaffection du public.
Dieu ne croit plus en nous, le film d'Axel Corti évoquant les camps français, a été produit par les télévisions suisse et autrichienne, et réalisé par un Autrichien. Il n'a été diffusé en France que par le circuit Art et Essai. La création artistique qui fait revivre la mémoire mérite d'être encouragée par la présence du public. C'est lui en effet qui en fin de compte, permet à cette création d'exister.
* * * 
  L'épisode de Vichy montre que l'effondrement des valeurs républicaines 
  débouche sur la violence et la barbarie. La crise actuelle, - crise des 
  idéologies, perte de confiance dans le politique, désengagement, 
  montée de l'individualisme et de l'intolérance, crise économique, 
  chômage, problème de l'immigration mal posé, - recèle 
  les germes de nouveaux dangers. 
C'est pourquoi l'engagement des historiens au 
  service de la vérité nous parait essentiel. Leurs travaux ne doivent 
  pas rester confidentiels. Ils doivent eux-mêmes les diffuser largement, 
  et ne pas laisser journalistes, politiciens ou magistrats parler à leur 
  place en les trahissant. L'affaire Touvier montre ce qu'il advient de l'histoire 
  placée entre les mains de la seule justice.
L'un des premiers devoirs dans le judaïsme est de se souvenir et de transmettre. "Car demande à la génération précédente, et sois attentif à l'expérience de leurs pères puisque nous sommes d'hier et ne savons pas, puisque nos jours sur terre sont une ombre, n'est-ce pas eux qui t'instruiront, qui te parleront, et qui de leur coeur extrairont des mots ?"
Chacun de nous était esclave en Egypte, chacun de nous était emprisonné au Vel. d'hiv.
(1) Organisée par le Collectif Elisha des Institutions Juives de Grenoble, en collaboration avec : Amitiés Juifs-Chrétiens, Bibliothèques Municipales de Grenoble, FNAC, Interpeller la Presse, L.I.C.R.A., Université Pierre Mendès France, et avec le soutien du M.R.A.P., et des municipalités de Gières, Grenoble, et Saint-Egrève.
(2) Jean Pierre Azéma : De Munich à la Libération, Points-Seuil, 1979.
(3) Michaël R. Marrus, Robert O. Paxton : Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, 1981.
(4) Moshé Zalcman : Joseph Epstein, Colonel Gilles, La Digitale, 1984.
   
Brèves
Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux. 
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
 
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, 
et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
 
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur 
de la synagogue, le vieux Moïché. 
Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché 
pour lui demander conseil.
 Le représentant des "debout" demanda : 
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ? 
 Moïché répondit : 
 - Non, ce n'est pas notre tradition. 
 Le représentant des "assis", tout content, demanda : 
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ? 
 Moïché répondit : 
 - Non, ce n'est pas notre tradition. 
 Le rabbin, perplexe, dit : 
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, 
et les querelles s'ensuivent... 
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !