Ha'Aretz, 24 novembre 2014
Traduction par Tal Aronzon pour "LPM"
http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.628038
https://www.lapaixmaintenant.org/L-ex-chef-du-Mossad-Pour-la
L’ex-chef du Mossad : “Pour la première fois, j’ai peur pour l’avenir du sionisme".
« L’État d’Israël galope aveuglément vers une guerre à la Bar-Kokhba contre l’empire romain. Conflit qui aboutit à un exil de deux millénaires », rappelle Shabtaï Shavit, qui fait cependant crédit à Benyamin Nétanyahou de sa bonne foi. « Si le Premier ministre se rendait compte de la gravité des menaces qui pèsent aujourd’hui sur nous, de la folie de la politique actuelle [...] et de ses effets dévastateurs allant jusqu’à la destruction de l’idéal sioniste, peut-être trouverait-il alors le courage et la détermination de mener à bien les propositions » ici faites, écrit-il ainsi en conclusion.
À l’aune des diverses actions engagées avant et depuis la rédaction de cet article, il y a quinze jours à peine, qu’il nous soit permis de dire à quel point ces propos sont pétris d’illusion : loin de chercher une issue au bourbier national et international dans lequel le pays s’englue, le Premier ministre persiste et signe.
En témoignent ses derniers faits d’arme – l’ultimatum au cabinet, et en priorité à Yaïr Lapid et Tzipi Livni,
exigeant leur appui sans faille ni amendements à la loi de l’État-nation du peuple juif ;
et la chute de la coalition gouvernementale qui en est la suite logique.
Le tout scellant un “recentrage” à droite toute dans le cadre de nouvelles alliances électorales puis gouvernementales... [T.A.]
Depuis les débuts du sionisme, à la fin du XIXe siècle, le peuple juif en terre d’Israël s’est renforcé en termes de démographie et de territoire, en dépit de la perpétuation du conflit avec les Palestiniens. Nous y sommes parvenus parce que nous avons agi avec prudence et habileté, plutôt que de nous engager dans la folle entreprise de convaincre nos ennemis que nous étions dans notre bon droit.
Aujourd’hui, pour la première fois depuis que j’ai commencé à penser par moi-même, je suis vraiment inquiet pour l’avenir du projet sioniste.
Je suis inquiet de la masse critique des menaces qui planent sur nous, d’une part, et de l’aveuglement,
de la paralysie politique et stratégique du gouvernement, d’autre part.
Malgré la dépendance de l’État d’Israël vis-à-vis des États-Unis, les relations entre les deux États sont au point le plus bas.
L’Europe, notre plus grand marché, est lasse de nous et s’oriente vers l’imposition de sanctions à notre encontre.
Pour la Chine, Israël représente un séduisant projet high-tech, et nous leur vendons au nom du profit le patrimoine national.
La Russie se tourne graduellement contre nous, et soutient et aide nos ennemis.
L’antisémitisme et la haine d’israël ont pris des dimensions inconnues depuis la Deuxième Guerre mondiale. Notre diplomatie et notre politique de relations publiques ont lamentablement raté, tandis que celles des Palestiniens ont engrangé de nombreux succès dans le monde. En Occident, et en particulier aux États-Unis, les campus sont les serres des futurs dirigeants nationaux. Or, nous sommes en train de perdre la bataille du soutien à Israël dans le monde universitaire. Un nombre croissant d’étudiants juifs tournent le dos à Israël ; le mouvement international pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël (BDS), qui s’emploie à dé-légitimer le pays, a grandi, et pas mal de Juifs en sont membres.
En cette ère de guerre asymétrique, nous ne faisons pas plein usage de notre puissance, au détriment de notre force de dissuasion. La polémique autour du prix des friandises Milky [1] et sa place centrale dans le débat public montrent une érosion de la solidarité, conditnion nécessaire à la permanence de notre existence ici. La course israélienne à l’acquisition d’un passeport étranger, fondée comme elle l’est sur le désir d’une nationalité autre, indique que le sentiment de sécurité des gens a commencé à se craqueler.
Je suis inquiet de voir paraître, pour la première fois, du mépris et de l’arrogance, alliés à une bonne dose de pensée messianique pressée de faire virer le conflit à la guerre de religions. S’il s’est agi, jusque ici, d’un conflit politique local limité à deux petites nations se disputant un petit territoire bien défini, des forces majeures au sein du mouvement sioniste-religieux font inconsidérément leur maximum pour qu’il tourne à la plus horrible des guerres, une guerre dans laquelle le monde musulman tout entier se dressera face à nous.
Je vois aussi, dans une certaine mesure, de l’indifférence et de l’incompréhension vis-à-vis du mode de fonctionnement des instances internationales et de ce qu’il implique pour nous. La droite, par son aveuglement et sa stupidité, place Israël dans la situation déshonorante du « peuple qui habitera à part, et ne sera point mis au nombre des nations » (Nombres 23:9).
Je suis inquiet, car je vois l’histoire se répéter. L’État d’Israël emprunte en un galop aveugle un tunnel temporel qui remonte jusqu’à l’époque de Bar-Kokhba et de sa guerre contre l’Empire romain [2]. Le résultat de ce conflit fut que deux millénaires d’exil succédèrent à des siècles d’existence nationale sur la terre d’Israël.
Je suis inquiet parce que, telles que je vois les choses, l’exil ne fait vraiment peur qu’au secteur laïque de l’État, qui se situe au centre et à gauche ; à savoir son secteur sain et démocratique, pour lequel l’exil symbolise la destruction du peuple juif. Le segment H’aredi ne vit en Israël que par commodité. En termes de territoire, Israël et Brooklyn sont pour eux la même chose ; ils continueront à vivre en tant que Juifs en exil, et attendront patiemment la venue du Messie.
Le mouvement sioniste religieux, quant à lui, croit que les Juifs sont les “élus de Dieu”. Ce mouvement, qui sanctifie la terre au-delà de n’importe quelle autre valeur, est prêt à tout sacrifier, fût-ce au prix de la mise en danger et de la faillite de la troisième expression nationale juive [3]. Si sa destruction devait se produire, ils l’expliqueraient en termes de foi, concluant que la faute en incombe à nos péchés. Ce n’est pas la fin du monde, diraient-ils donc. Nous irons en exil, préserverons le judaïsme, et attendrons patiemment la prochaine occasion.
Je me souviens de Mena’hem Begin, l’un des pères de l’idée du Grand Israël. Il lutta toute sa vie pour voir ce rêve s’accomplir. Pourtant, quand s’ouvrit une porte vers la paix avec l’Égypte, notre pire ennemie, il abandonna le Sinaï – un territoire égyptien trois fois plus grand que celui d’Israël intra Ligne verte – au nom de la paix. En d’autres termes, il est des valeurs plus sacrées que la terre. La paix, qui est la vie et l’âme d’une démocratie véritable, compte plus que la terre.
Je m’inquiète que de larges segments de la nation aient oublié, ou mis de côté, l’idéal originel du sionisme : fonder un État juif et démocratique pour le peuple juif sur la terre d’israël. Nulle frontière n’était là spécifiée, et la défiance constitutive de notre politique actuelle va à son encontre.
>Que pouvons-nous et devrions-nous faire ? Il nous faut fabriquer le levier d’Archimède capable de stopper la dégradation actuelle et d’inverser immédiatement le mouvement. Je propose de le forger à l’aide de la proposition émise par la Ligue arabe en 2002, et dont l’Arabie saoudite était en partie l’auteur. Le gouvernement doit décider que cette proposition formera la base des pourparlers avec les États arabes modérés, emmenés par l’Arabie saoudite et l’Égypte.
>Le gouvernement devrait faire trois choses pour en préparer l’annonce :
Après l’aboutissement de ces processus secrets, Israël annoncera publiquement être prêt à entamer des pourparlers sur la base du document de la Ligue arabe.
Je ne doute pas que les États-Unis et l’Arabie saoudite, chacun pour ses raisons, répondront positivement à l’initiative israélienne, et que celle-ci sera le levier qui mènera à une évolution drastique de la situation. Quelles que soient les critiques que je puis émettre quant aux accords d’Oslo, il est indéniable que dès qu’ils furent signés, et pour la première fois dans l’histoire de ce conflit, presque tous les pays arabes ont commencé à parler avec nous, à nous ouvrir leurs portes et à s’engager dans des tentatives sans précédent de coopération dans les domaines économique et autres.
Bien que je ne sois pas naïf au point de croire qu’il amènera la paix si désirée, je suis certain qu’un tel processus, pour long et épuisant qu’il soit, pourrait au début permettre à la confiance de s’édifier ; et, par la suite, à des accords de sécurité souhaités par les deux parties de se conclure. L’avancée des pourparlers sera bien entendu conditionnée par le calme que toutes deux s’engageront à respecter en matière de sécurité.
Il pourrait se faire qu’au fur et à mesure des progrès effectués, les deux parties en viennent à envisager des compromis réciproques susceptibles de promouvoir l’idée de leur coexistence côte à côte. Si la confiance mutuelle grandit – et sous les auspices des États-Unis et de l’Arabie saoudite les chances que cela se produise sont plutôt élevées – il sera possible d’entamer des pourparlers pour la complète résolution du conflit.
Une initiative de cette sorte exige des dirigeants sincères et courageux, qu’il est difficile de trouver en ce moment. Mais si le Premier ministre se rendait compte de la gravité des menaces qui pèsent aujourd’hui sur nous ; de la folie de la politique actuelle ; du fait que ceux qui l’engendrent sont des éléments représentatifs du mouvement sioniste-religieux et de l’extrême-droite ; et de ses effets dévastateurs, allant jusqu’à la destruction de l’idéal sioniste, peut-être trouverait-il alors le courage et la détermination de mener à bien les actions ici proposées.
J’ai énoncé les constats ci-dessus parce que j’ai conscience de le devoir à mes parents, qui vouèrent leurs vies à l’accomplissement du sionisme ; à mes enfants, à mes petits-enfants et au peuple d’Israël que j’ai servi des décennies durant.
NOTES *
* Toutes les notes sont de la traductrice.
Brèves
Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient,
et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur
de la synagogue, le vieux Moïché.
Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché
pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise,
et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !